“Une personne qui ne connaissait pas son histoire, ses origines et ses cultures anciennes est tel un arbre sans racines” Marcus Garvey.
Et si les origines de notre propre douleur et de l’agonie de la planète n’étaient pas étrangères et qu’elles étaient, en fait, intimement liées aux racines de notre histoire ? Et si le fait de trouver la paix et de soigner ses blessures n’était finalement possible qu’en reconnaissant le passé et les blessures collectives de notre humanité ?
Dans notre société occidentale, nous vivons dans une culture qui néglige sa jeunesse et oublie ses anciens. Les rites d’initiations et de passages à l’âge adulte que pratiquaient nos ancêtres n’existent plus, tout comme le sens d’appartenance à une communauté ou à un clan et l’entraide qui en découlait. Le passage à l’âge adulte est devenu difficile et ce sentiment nécessaire à chacun de faire partie d’un groupe ou même d’un lieu est rendu quasi inaccessible par notre rythme de vie et le manque d’échanges entre les générations. Il n’est donc pas surprenant de voir émerger une recrudescence dans les domaines de la généalogie, la psychogénéalogie et différentes modalités spirituelles liées à la guérison ancestrale.
Beaucoup de pratiques existent pour comprendre et transformer notre héritage transgénérationnel, c’est-à-dire les traumatismes, maux et fardeaux transmis de génération en génération. Mais selon moi, creuser dans les racines de quelques générations ne suffit pas à mettre à jour le fondement de nos propres blessures, car au-delà de l’histoire de notre famille se trouve un conditionnement systémique (généralisé) dont nous héritons tous. Travailler avec mes générations anciennes m’a permis d’atteindre un nouveau degré de compréhension.
Les histoires traumatisantes vécues par ma propre famille ces deux derniers siècles, même si elles sont somatiquement présentes en moi sous forme d’héritage épigénétique, ne définissent pas mon identité.
Quand je suis assise autour du feu, je ressens la présence de mes lointains ancêtres, mes peuples originaires d’Europe. Les flammes dansantes me rappellent leurs cérémonies et rituels. Les cercles de paroles auxquels je participe m’évoquent la façon dont ils vivaient et partageaient les histoires, les mythes et les rêves de leurs communautés, tout en se rassasiant sur la chasse et la cueillette du jour. Dans cette quête d’appartenance, ce dont j’essaye de me souvenir, ce sont les histoires qu’ils partageaient, leurs connaissances et leur sagesse dans l’espoir d’y trouver des réponses qui puissent sauver notre humanité.
Quand on pense à leur modèle relationnel, basé sur la cohabitation entre les espèces et le respect du vivant, qui a permis à notre espèce d’évoluer en harmonie pendant 98% de notre histoire humaine, je suis persuadée qu’il y a ici, des savoir-faire et comportements à se réapproprier.
L’émergence de l’agriculture et de l’élevage sont les premières causes de notre séparation avec la nature. Les espèces vivantes qui étaient jusqu’alors considérées comme égales à l’homme sont devenues des propriétés. Les animaux se sont vus apprivoisés, les terres modifiées et des Dieux sont nés pour concilier la terre et les hommes, alors devenus sourds.
Cette déconnexion avec la nature s’est amplifiée durant les deux derniers millénaires avec la montée des religions monothéistes, du capitalisme et de l’industrialisation, qui nous ont menés à une crise sociale et environnementale sans précédent.
Et si notre déconnexion avec la nature était en fait notre plus grand problème ? Et si la solution durable à cette crise qui nous impacte au niveau collectif, familial et personnel était en fait la sagesse de nos ancêtres animistes ? Et si ces anciennes coutumes étaient ce qui peut vraiment nous définir ?
Je pense qu’il faut regarder au-delà des sept générations de notre arbre, au-delà des stigmates de notre mentalité occidentale, au-delà de notre conditionnement systémique, et cela afin d’accéder aux 98% de cette accumulation de connaissances. Elles sont toujours là, ancrées en nous, coulant dans nos veines. Elles peuvent être la base d’une transformation et peuvent aider et inspirer quiconque ayant envie de se souvenir.
Me reconnecter à mes propres racines a été pour moi une belle invitation à me remémorer et à réveiller le savoir et les pratiques de mes lignées. Il y a une sagesse qu’aucune science ne pourra jamais remplacer, et j’aimerais parfois que nos ‘leaders’ écoutent ceux qui vivent encore comme le faisaient nos ancêtres, qu’ils s’en inspirent pour gérer les conflits, les injustices et le malheur, au lieu de tenter de leur imposer notre mentalité occidentale. J’aimerais que l’on puisse initier nos jeunes et respecter nos aînés comme beaucoup de cultures le font encore.
Quand je regarde les différents éléments de mon arbre généalogique pour explorer l’aspect émotionnel des branches les plus récentes, je ressens le poids porté par mes arrière-grands-parents qui ont vécu deux guerres mondiales sur leur terre ancestrale, qui étaient déjà piégés dans l’ère industrielle et tous les traumatismes qui en découlent. Je sais également que les cinq générations avant eux n’ont guère eu plus de chance. J’ai dû remonter beaucoup plus loin pour comprendre les racines profondes de notre blessure culturelle et encore plus loin pour trouver une base de guérison possible.
Dans cette approche de guérison ancestrale, le Professeur Daniel Foor, auteur de Ancestral Medicine: Rituals for Personal and Family Healing dit : « Lorsque l’on se réconcilie avec ses ancêtres qui ont connu la persécution ou qui ont promulgué la violence ou l’oppression, nous guérissons notre propre psyché et nos histoires familiales qui, à leur tour, réparent les fissures dans l’âme, au sens plus large, de l’humanité. »
C’est la raison pour laquelle j’aime le fondement de ce travail. Il permet en effet une approche profonde et intuitive qui m’a personnellement transformée mais qui a également eu un effet sur mes ancêtres dont j’ai presque tout hérité. Si guérir les ancêtres peut aider à guérir le collectif, ma guérison est aussi soutenue. Comment les fruits d’un arbre peuvent-ils pousser sainement si les racines ne sont pas en bonne santé ?
Construire une relation avec mes ancêtres et trouver une façon de leur faire honneur m’ont aidé à me connecter à mon authenticité, à trouver ma place dans le monde. Mon sentiment d’appartenance m’accompagne où que j’aille. La vie me semble désormais plus intéressante car chaque jour qui passe est une découverte d’anciennes et de nouvelles façons d’exister, d’agir ou de simplement ralentir. Les ancêtres sont mes meilleurs guides car ils me montrent comment faire pour me soutenir moi et mes proches dans ces temps de crise où l’effondrement social semble inévitable. Ma relation avec eux joue une part importante pour m’aider à garder les idées claires, les pieds sur terre et être un intermédiaire pour le changement.
Si la véritable libération de soi existe dans toute sa splendeur, je pense qu’elle découle de notre connexion au tout vivant, incluant le monde de l’invisible, les ancêtres et toutes les autres espèces. Nous sommes la nature, nous sommes la terre, nous sommes les ancêtres. Nos corps et notre collectif sont un écosystème et nous avons besoin de chacun pour atteindre une harmonie écologique et personnelle.